Famille

Dans le quartier de Bompard, face à la mer Méditerranée, une petite maison rénovée par l'architecte Manon Gaillet

Chez

Guy Yanai et Aurore Chauve, Romy 14, Ava 11 ans

« Nous voyons la mer tous les matins et, comme dans toutes les villes de Méditerranée, sa présence vous embrasse toujours. » Avec de si jolis mots, le décor est immédiatement posé. Comme si chacune de leurs lettres contenait une couleur, et que, prononcées, elles finissaient par se mélanger jusqu’à esquisser un tableau. Celui des paysages de Marseille. Selon Guy Yanai ! Un amour infini que le peintre porte à celle « qui laisse l’espace d’y être soi-même sans devoir se conformer à elle » et que partage sa femme, la directrice artistique et graphiste Aurore Chauve. Après avoir rêvé d’y vivre pendant de longues années, c’est dans le quartier de Bompard que le couple et les enfants de l’artiste ont déposé leurs toiles et leurs livres. Dans une maison de 40 m2, faisant partie d’un lot de trois petites maisons mitoyennes construites sur la roche il y a environ deux cents ans comme maisons closes. Un passé sulfureux ayant subi les affres du temps mais surtout de la modernité que les créateurs souhaitaient de nouveau dénuder « afin de lui redonner sa valeur, avec ses matériaux riches originels ». Des envies concrétisées grâce à leur rencontre providentielle avec l’architecte Manon Gaillet. Missionnée de la rénovation de ce « nid secret où personne ne peut les trouver », la cofondatrice de l’agence Marion Bernard s’est appliquée à en redessiner toutes les lignes et les courbes, exprimant par la même occasion sa sensibilité vis-à-vis de la matière, qu’il s’agisse de brique rouge, de tadelakt ou d’autres enduits à la chaux. Une intervention qui aura permis de transformer les voûtes servant autrefois à stocker l’eau en chambres, la cuve à eau en escalier et l’ancien lavoir en baignoire, redonnant ainsi à cet intérieur sa simplicité. Une modestie entretenue jusque dans la décoration – les fondateurs du magazine Yundler Brondino Verlag possèdent très peu de mobilier – qui laisse avant tout découvrir « l’histoire de leur vie et les personnes qui en font partie ».

Lieu

Marseille

texte

Caroline Balvay

Photographies

Eve Campestrini

TSF

  • Aurore, Guy : pouvez-vous vous présenter ?

Aurore

Je suis une graphiste et directrice artistique indépendante, née à Aix-en-Provence.

Guy

Je suis un peintre, né à Haïfa.

TSF

  • Quel est votre parcours ?

Aurore

Après avoir étudié le graphisme à Aix-en-Provence, j’ai déménagé à Paris où j’ai travaillé avec Cléo Charuet (Cléoburo) puis pour différentes agences. Lors d’un voyage à New York, Partners & Spade m’a proposé de rester. Cela a été la plus riche et la plus belle expérience professionnelle que j’ai eue jusqu’ici, j’y ai tout appris ou plutôt, désappris ! J’ai vécu là-bas pendant trois ans et j’y suis devenue free-lance. Je travaillais à la fois pour des agences ou institutions comme Apple ou Facebook et pour des clients dans la mode comme Ulla Johnson ou Andy Spade pour Sleepy Jones, puis, aussi, dans le monde du design pour Domino Magazine. J’y ai fait de grandes rencontres et c’est aussi là-bas que j’ai rencontré Guy.

Guy

J’ai étudié un an à la Parsons School of Design, puis l’année d’après à la New York Studio School. J’y ai survécu pendant un an puis je suis allé dans le Nord à Armherst (dans le Massachusetts) pour lire plus de livres et aiguiser ma personnalité. Là-bas aussi, j’étais assez malheureux, mais mon père m’a forcé à finir et à passer mon diplôme. J’ai ensuite déménagé à Tel-Aviv où j’ai été graphiste, puis j’ai ouvert une toute petite galerie pour les artistes qu’on ne voyait pas exposés à Tel-Aviv. En 2006, j’ai pris conscience que je pouvais vivre de ma pratique en tant qu’artiste et c’est ce que je fais depuis.

TSF

  • Directrice artistique, artistes, fondateurs de la maison d’édition Yundler Brondino Verlag : vos activités respectives laissent transparaître une sensibilité accrue à l’image, à la couleur. D’où cela vous vient-il ? De quelle manière y sensibilisez-vous, à votre tour, vos enfants ?

Guy

Ce qui est fascinant entre Aurore et moi, c’est que notre éducation est à 180 degrés opposée. Elle a vécu jusqu’à ses 18 ans dans l’appartement qui l’a vue naître, et dans lequel sa mère vit toujours. Avant l’âge de 7 ans, j’avais déjà connu quatre appartements différents à Haïfa. À Boston, nous avons encore déménagé trois fois avant de connaître New York. Aurore a baigné et est imprégnée – même inconsciemment – de l’histoire des peintres français, du cinéma français, de la littérature française et, le plus important, du savoir-vivre à la française. J’emprunte et édite mes sources depuis beaucoup d’endroits différents. La combinaison de nous deux, les pieds sur terre et l’éphémère, a abouti à la création de notre maison d’édition qui mêle la conscience historique au contemporain. Adolescent, avant les réseaux sociaux et la technologie, j’étais passionné de skateboard, de graffiti, de contre-culture, de punk rock. Tout cela m’a guidé vers l’art. Je n’essaye pas d’influencer mes enfants avec un certain goût qui serait meilleur qu’un autre. Notre maison est remplie de livres, d’œuvres d’art, de musique et de cuisine qui nous définissent. J’espère que c’est l’air qu’ils respirent.

Aurore

J’ai grandi dans la librairie/papeterie/parfumerie/maroquinerie de ma grand-mère et tout ce que je fais aujourd’hui est puisé dans cet univers. Le souvenir des livres anciens, des cartes postales, des protège-cahiers, des étiquettes de parfums et des papiers par milliers. C’était un endroit magique avec des bibliothèques en bois sur mesure, du sol au plafond, un escalier en colimaçon qui menait aux galeries, des vitrines au fond miroir plein les murs exposant les flacons Guerlain et Roger&Gallet. Tous les mois, nous allions dans les stocks de distributeurs pour acheter des livres. Le papier est devenu une obsession. C’est ce que je préfère dans la confection d’un ouvrage, le passage de l’idée conceptuelle et de son contenu à la traduction en un objet. Je me sens complètement chez moi dans n’importe quelle imprimerie du monde entier. Le fait d’être née en Provence et d’y avoir grandi est aussi une source de culture incroyable pour moi. J’ai évolué dans les champs de cerisiers et les brocantes du dimanche de tous les villages du Luberon que nous sillonnions avec ma mère. Plus tard, pour pouvoir payer mes études, j’ai travaillé comme ouvreuse dans des théâtres, des centres de danse contemporaine, et dans un festival d’art lyrique. Cela m’a énormément nourrie de pouvoir assister aux représentations tous les soirs.

L’espace modeste – 40 m² – résonne en nous comme un nid secret où personne ne peut nous trouver. La plupart des œuvres sont celles de nos amis (...) La maison montre l’histoire de notre vie et les personnes qui en font partie.

TSF

  • Designers, artistes : quels sont ceux dont l’œuvre a eu une influence particulière sur vous, votre travail ?

Guy

Cy Twombly comme poète, Henri Matisse comme coloriste, Pablo Picasso pour la passion, John Zorn pour la profondeur de son œuvre, Jean-Luc Godard, Éric Rohmer, Paul Cézanne comme le père de l’art contemporain et la vie.

Aurore

Toute la Nouvelle Vague, Duane Michals, Anne Collier, Bas Jan Ader, la troupe Peeping Tom, Romeo Castellucci, Alex Da Corte, Karla Black, Wolfgang Tillmans, Elad Lassry, Talia Chetrit, Sophie Calle, Luigi Ghirri, Henri Matisse, Charlotte Perriand, Sam Moyer, Imi Knoebel, Nathalie du Pasquier… Et tant d’autres !

TSF

  • Pourquoi avoir choisi de vous établir à Marseille ?

Aurore

Je suis née et j’ai grandi à Aix-en-Provence mais j’ai toujours eu un amour infini pour Marseille. Après avoir vécu à Paris, New York et Tel-Aviv, c’était mon rêve d’y acheter un bien pour y retrouver mes racines méditerranéennes.

Guy

D’une certaine manière, inconsciemment, nous nous sommes rendu compte que nous étions attirés par les villes considérées « de province ». Nos décisions esthétiques sont plus libres qu’à New York, Paris ou Londres où, paradoxalement, nous voyons beaucoup de conformisme. C’est aussi plus difficile pour les galeristes qui me représentent de venir me voir, donc je peux travailler en paix ! (Rires)

TSF

  • Que vous inspire cette ville ?

Aurore

Nous voyageons beaucoup, mais quand j’arrive à Marseille, c’est les vacances même si j’y travaille. La lumière, la bonne humeur, les baignades matinales à Malmousque, le chant des grenouilles à la tombée de la nuit, mais aussi l’imbrication de la ville dans la roche et la nature, la multitude de points de vue sur la Méditerranée…

Guy

Nous aimons la détente et l’aspect brut de la ville. Le fait qu’elle nous laisse l’espace d’y être soi-même sans devoir se conformer à elle. Bien sûr, nous voyons la mer tous les matins et, comme dans toutes les villes de Méditerranée, sa présence vous embrasse toujours.

TSF

  • Racontez-nous l’histoire de votre rencontre avec cette maison.

Guy

Nous adorons le quartier de Bompard. Les grenouilles la nuit, les hirondelles, l’orientation sud qui fait qu’il n’y a jamais de mistral, le petit coin avec vue mer, le jardin…

Aurore

Il y a 3 ans, nous avons commencé à chercher un endroit à acheter à Marseille. Je venais d’hériter, et mon rêve avec cet argent était une maison ici. J’ai visité des biens seule, pendant un an, car il était difficile pour Guy, à l’époque, de venir souvent à Marseille étant donné qu’il n’y avait pas encore d’atelier. Puis, au bout d’un an de recherche, il est venu avec moi un week-end et nous avons visité trois maisons dont celle-ci. C’est lui qui a tout de suite vu le potentiel. Moi, je n’étais pas sûre à 100% ! J’ai énormément de mal à prendre ce genre de décisions, mais en vingt-quatre heures, c’était plié et l’offre a été acceptée. Elle se trouve sur la colline de Bompard face à celle du Roucas Blanc. La terrasse plein sud avec un petit bout de mer est mon endroit favori.

TSF

  • Comment l’avez-vous pensée ?

Aurore

C’est un lieu qui fait partie d’un lot de trois petites maisons mitoyennes construites sur la roche il y a environ deux cents ans comme maisons closes. Au fil des années, celles qui jouxtaient la nôtre ont drastiquement changé, avec des façades, des ouvertures, des extensions. Mais celle-ci est restée intacte, à l’exception d’une cuisine et d’une salle de bains Ikea, de doubles vitrages en PVC et de plaques de placo recouvrant tous les murs. L’idée était vraiment de dénuder l’espace et de lui redonner sa valeur, avec ses matériaux riches originels. Remplacer le lino qui a fait irruption à certains endroits par des tomettes anciennes, les volets en métal par des volets à tablier à la provençale, et puis enlever absolument tout le placo : mon ennemi absolu dans ce monde dit « moderne ». La grande surprise a été de trouver au moment du chantier les fenêtres anciennes originales de la maison mises à la poubelle par les voisins qui venaient de changer les leurs pour du PVC ! Une chance. Avant d’avoir trouvé cet endroit, nous avions loué plusieurs fois la même maison que nous avions beaucoup aimée lors de nos séjours à Marseille. Nous avions demandé au propriétaire qui était l’architecte qui s’était occupé de sa rénovation et c’est comme ça que nous avons découvert le travail de Manon Gaillet. Manon a une sensibilité toute particulière aux matériaux. C’est elle qui a dessiné toutes les lignes et courbes de notre intérieur. Elle travaille avec différents artisans la brique rouge, le tadelakt et autres enduits à la chaux. Le plus gros chantier a été de rendre habitable la dépendance sous la terrasse. Les voûtes servant à stocker l’eau autrefois sont devenues des chambres, la cuve à eau un magnifique escalier dessiné par Manon qui mène à l’ancien lavoir transformé en baignoire. Nous avons aussi la chance d’être très amis avec un grand architecte (François pour ne pas le citer) qui nous a donné énormément de précieux conseils sur l’aménagement intérieur et extérieur. Tout particulièrement le jardin.

TSF

  • Et meublée ?

Aurore & Guy

Nous avons très peu de mobilier. Parmi les meubles que nous avons, il y a le buffet réalisé par Charlotte Perriand pour son projet des Arcs (que nous avons chiné), des chaises Borge Mogensen, une table et un banc de notre amie Marina Bautier, un sofa Paola Navone, des tabourets Alvar Aalto et une pile en marbre ancienne chinée.

TSF

  • Que raconte ce lieu de vous ?

Guy

L’espace modeste – 40 m² – résonne en nous comme un nid secret où personne ne peut nous trouver. La plupart des œuvres sont celles de nos amis – François Halard, Nathanaëlle Herbelin, Camille Vivier, Nathalie du Pasquier. La maison montre l’histoire de notre vie et les personnes qui en font partie.

Aurore

C’est un lieu qui nous ressemble, solaire, intime et vivant.

TSF

  • Quels sont les lieux / adresses qui vous viennent spontanément à l’esprit lorsque l’on évoque Marseille ?

Guy

Rapid’ couture, Chez Michel, Le Café de la banque, les calanques, la plage Maldormé, le Cercle des nageurs.

Aurore

Je rajoute ! Les légionnaires au coucher de soleil, le vallon des Auffes, la baie des Singes, le port de Malmousque, le Frioul, Morgiou, Chez le Belge, Maison Empereur, la Cité radieuse, la Vieille Charité, L’Épicerie L’Idéale et son restaurant, Jogging Samena (où on s’est mariés !) et La Maison Marseillaise.

TSF

  • Où vous retrouverons-nous dans les prochains mois ?

Aurore & Guy

Guy à une exposition à Berlin intitulée In the shadow of young girls in flower du 25 mai au 26 juin à la galerie Koning, puis il sera à l’Armory Show New York en septembre. Nous participons avec notre maison d’édition Yundler Brondino Verlag à The Other Book Fair à La Haye du 27 au 29 mai puis à la foire I Never Read Art Book Fair à Bâle pendant Art Basel du 15 au 18 juin et enfin Art-O-Rama à Marseille du 25 au 28 août. Dans les prochains mois, mais aussi de manière générale, nous sommes toujours entre Marseille, Paris, Tel-Aviv et l’Italie.

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