Familles
A Berlin, un spectaculaire appartement-atelier où tout est jeu, couleurs et joie
Chez
Maryam Keyhani et Ali Karbassi, Rumi 11 ans et Dali 7 ans
Impossible de demeurer impassible. Avec la Berlinoise d’adoption, élevée entre Téhéran et Toronto, les frontières entre jeu et réalité se floutent. Et si l’on sent parfois, à travers un regard ou à demi-mot, une femme sauvée de bien des épreuves par la joie, c’est toujours le rire qui demeure chez elle. Maryam Keyhani est artiste et modiste, porte des chapeaux surdimensionnés depuis ses vingt ans, vous accueille dans une robe fantaisiste de sa confection et décrit son appartement comme un magasin de jouets pour adultes et enfants. Ce qui frappe d’abord dans son univers, c’est cette esthétique de gâteau. Oui, de gâteau : on voudrait manger ces chapeaux pensés comme la crème d’une religieuse, ces motifs qui semblent tracés au sucre glace et ces couleurs situées entre l’acide et le pastel. A moins qu’on n’y observe une tente de cirque géante, ou encore ces beaux théâtres des années trente, aux éléments en velours cramoisi, bois peint et doré. N’y cherchez pas de références trop lointaines : le monde de l’artiste lui est propre. Il est fait d’arabesques peints en fresque, de paille et de tulle, d’éclats de couleurs. Ici, la porte de l’atelier est toujours ouverte. Les adultes comme les enfants – surtout les enfants – et Missy le chat persan y sont les bienvenus à toute heure. On y est invité à jouer, à dessiner, à se costumer et à rêver. Son sonore « faites ce que vous voulez » s’y fait entendre vingt fois par jour, à destination de ses enfants comme des autres. Le jeu, toujours central dans son travail comme dans son quotidien. Le rire « comme l’un des plus précieux cadeaux de la vie » dit-elle encore, dans un sourire malicieux. Ouvrez grand vos yeux. Et pénétrez dans le terrier magique d’une Alice au Pays des Merveilles des temps modernes, où la joie est affaire sérieuse.
Lieu
Berlin
texte
Elsa Cau
Photographies et Vidéos
Constance Gennari
TSF
Qui êtes-vous, Maryam ?
Maryam
Je suis Maryam Keyhani. La chapelière folle… version persane.
TSF
Quel est votre parcours?
Maryam
J’ai étudié la peinture et la sculpture à l’OCAD, le Ontario College of Art and Design, à Toronto. Puis j’ai passé un an à Florence, où j’ai passé tout mon temps à peindre des lustres ! J’ai commencé à porter des chapeaux à vingt ans à peine. Je ne trouvais jamais vraiment ceux dont je rêvais – ou bien ils étaient hors de prix. Alors j’ai fini par les fabriquer moi-même. Petit à petit, c’est devenu quelque chose de plus grand, de plus important. Pour moi, porter un chapeau, c’est ce tiraillement étrange entre l’envie de me cacher et celle d’être vue. Car soyons honnêtes : ces chapeaux sont tout sauf discrets. Et puis, avec le temps, ils sont devenus autre chose : des outils pour transmettre de la joie. J’adore observer les réactions quand quelqu’un tombe dessus dans la rue – ces formes colorées, un peu ridicules – et esquisse un sourire, ou sort tout à coup de son mode pilote automatique. Bref, j’ai commencé par les relations presse dans la mode, puis j’ai créé une ligne de bijoux… avant de lancer ma première collection de chapeaux en feutre et en paille, en 2018.
TSF
Comment décririez-vous votre pratique artistique ?
Maryam
En ce moment, je peins surtout. J’ai la chance que la marque et les chapeaux soient arrivés à un stade où je peux me permettre de prendre des journées entières pour travailler dans mon atelier d’art. Et ça, c’est un vrai luxe.
TSF
Quels sont vos projets du moment ?
Maryam
J’ai très envie de faire plus de choses autour de ma boutique, des projets ancrés dans la communauté du coin. Donc en ce moment, je planifie des événements qui permettent de « rendre » quelque chose aux gens du quartier…
"Peut-être que le chaos dans lequel j’ai grandi m’a donné cette soif immense de beauté, de jeu, de joie."
TSF
Dans quel environnement avez-vous grandi ?
Maryam
Très chaotique, et pas vraiment esthétique ! Mais mon père était peintre, donc j’ai grandi au milieu de l’odeur infecte de la peinture à l’huile… et de ses effets merveilleux. Je n’ai pas vraiment de souvenirs liés aux maisons de mon enfance. Plutôt l’inverse. Ce dont je me souviens, c’est qu’il y avait toujours des couleurs, des palettes et cette odeur entêtante. J’ai grandi en Iran jusqu’à mes 13 ans, puis on a déménagé au Canada.
TSF
Est-ce que cela a influencé vos goûts ?
Maryam
J’imagine que oui… Peut-être même que le chaos dans lequel j’ai grandi m’a donné cette soif immense de beauté, de jeu, de joie.
TSF
Racontez-nous l’histoire de ce lieu.
Maryam
On a beaucoup voyagé entre l’Allemagne et le Canada, on vivait un peu entre les deux. On s’est finalement installés à Berlin en 2021. On a tout de suite été emportés par l’énergie de la ville – on est tombés sous le charme dès le premier jour. On adore notre rue, elle a beaucoup de charme. Et cet appartement est parfait parce que je peux y avoir mon atelier… ce qui, quand on est un peu paresseuse, est fondamental ! Comme vous pouvez le voir, l’endroit était déjà un atelier d’artiste.
TSF
Vous avez dû faire beaucoup de travaux ?
Maryam
Oui, c’était effectivement un atelier… mais en friche totale. On a dû tout nettoyer, rénover beaucoup, mais on a veillé à conserver les éléments d’origine, son âme.
TSF
Le plus gros défi pendant les travaux ?
Maryam
Mon mari !
TSF
Quelle ambiance vouliez-vous créer ici ?
Maryam
Ludique… L’appartement entier ressemble à un immense magasin de jouets.
TSF
Quels sont les objets ou pièces que vous préférez chez vous ?
Maryam
La grande lampe-chapeau. Mon mur de chapeaux. Et mon lit. J’adore dormir – aller me coucher a toujours été ma meilleure thérapie. Petite, dans un contexte plus compliqué, c’était ma porte de sortie, un refuge loin du chaos. Et ce lien-là ne m’a jamais quittée.
TSF
Vos adresses coup de cœur de votre quartier ?
Maryam
Ma boutique, juste à côté (Choriner Str. 50, Berlin). Vietnam Village (Oderberger Str. 7, Berlin), pour un bon pho bien chaud pendant les hivers berlinois. Et le hammam du Cowshed à Soho House (Torstraße 1, Berlin) – mon sauveur au quotidien !
TSF
Que pensez-vous de The Socialite Family ?
Maryam
J’adore le fait que les personnes mises en avant ne soient pas toujours celles qu’on connaît déjà. C’est authentique, et c’est ça qui est intéressant.