Mathieu Lehanneur

Chez

Mathieu Lehanneur, designer optimiste

Celui-là ne se présente presque plus. Bien peu de jeunes designers peuvent se targuer d’avoir intégré les collections permanentes du MoMA avec un projet de fin d’études. C’est le cas de Mathieu Lehanneur avec Objets thérapeutiques (2001), un travail sur l’ergonomie des médicaments qui préfigure ses allers-retours constants entre la science et les arts, l’artisanat et la technologie, le quotidien et l’exception. Depuis, Mathieu Lehanneur ne compte plus ses réalisations. Inutile, d’ailleurs, puisqu’il le rappelle volontiers : il est homme du présent avant tout. Citons donc les derniers en date : la torche et la vasque olympiques pour les JO de 2024 et une intrigante installation monochrome pour le salon Maison&Objet, qui ouvrira ses portes le 18 janvier et dont il est l’invité d’honneur en tant que designer de l’année. The Socialite Family a profité de cette actualité pour pénétrer, à pas feutrés, dans la Factory de Mathieu Lehanneur, aux portes de Paris. Une véritable ruche en perpétuelle ébullition où les pièces sont pensées et conçues sur place, « sans intermédiaire », nous précise-t-on. Rencontre dans cet espace hybride, d’où le designer orchestre désormais le bal de ses objets comme Merlin fait valser les théières.

Lieu

Paris

texte

Elsa Cau

Photographies

Jeanne Perrotte

TSF

C’est la question la plus difficile. Mathieu Lehanneur, pouvez-vous présenter ?

Mathieu

Mathieu Lehanneur, designer. Que dire de plus ?

TSF

Parlez-nous de votre parcours.

Mathieu

Je suis né en 1974 et j’ai passé de longues années (sept) à l’ENSCI-Les Ateliers (École nationale supérieure de création industrielle, ndlr). Je crois d’ailleurs avoir eu le record de durée dans cette école. J’en suis sorti en 2001 avec un projet de diplôme autour du design des médicaments. Dès le lendemain, je suis devenu indépendant.

TSF

Pourquoi vous intéresser au design des médicaments ? Cela présageait, quelque part, de votre intérêt pour la science à travers votre pratique.

Mathieu

C’est arrivé parce que pendant mes études (entre autres choses pour les payer), je testais des médicaments avant qu’ils soient mis sur le marché C’est là que j’ai pris conscience à quel point, au-delà du côté principe actif du médicament, il y a tout un pan relationnel entre le patient comme vous et moi et une plaquette de médicament. La relation qui devrait s’établir entre cet objet un peu spécial et nous dépend de son allure, du message qu’il envoie, aussi, mais n’est pas prise en compte dans les traitements. La question dépassait l’idée du packaging, d’ailleurs : c’était vraiment de mettre en forme le principe actif.

TSF

Vous avez tout de suite été designer indépendant. C’était essentiel pour vous ?

Mathieu

C’était psychologiquement indispensable ! Je suis né dans une famille nombreuse, voire très nombreuse, donc je n’avais pas envie de me remettre dans un groupe, agence ou société quelconque. Ça, c’était la première raison d’être indépendant. La deuxième, c’est que j’avais déjà conscience que la meilleure façon d’avancer, c’était de supprimer progressivement tous les intermédiaires qu’il y a entre une idée, une intention de départ, une intuition et sa réalisation. Je n’ai pu concrétiser cette idée que très récemment. Au sortir de l’école, mon studio, c’était ma chambre. Je n’avais aucune fortune personnelle, aucun réseau. Mais l’idée était déjà là !

Mon travail s'intéresse au présent. Qui suis-je pour affirmer aujourd'hui que je vais dessiner pour le futur ? Dans le futur, il y aura d'autres designers et le monde aura bougé.

TSF

Qu’est-ce qui vous a lancé ?

Mathieu

Cela ne s’est pas fait d’un seul coup. Je n’ai pas le sentiment d’une vague qui change tout, comme un tremplin immense. Il y a eu une succession de choses. Le projet de diplôme est entré dans les collections du MoMA. Ce projet m’a amené à me poser des questions sur le monde scientifique : de quelle manière peut-on faire entrer des connaissances ou des techniques scientifiques dans la vie quotidienne ? J’ai eu la carte blanche du VIA (Valorisation de l’innovation dans l’ameublement, acteur incontournable de la promotion du design en France, où ont exposé les plus grands designers, d’Andrée Putman à Philippe Starck, ndlr) et ensuite j’ai développé un projet de purificateur d’air avec un scientifique… Ç’a été un grand escalier dont on a gravi les marches.

TSF

Jusqu’au moment où vous créez votre marque : une grande marche de cet escalier !

Mathieu

C’est l’étape la plus récente, effectivement. Comme on se le disait pus tôt, j’avais en tête d’essayer de supprimer progressivement tous les intermédiaires. On a amorcé cette démarche il y a cinq ou six ans, avec pour objectif final de maîtriser toute la chaîne, de l’intention de départ jusqu’à la réalisation. Pour cela, nous avons eu besoin de nous déplacer dans une autre forme d’espace : on est donc venus ici, à Ivry, en septembre 2023, pour créer cette factory au sein de laquelle sont entièrement gérés le dessin de départ, les esquisses, les images, les mises au point, les conceptions, les prototypes, les tests, l’assemblage des composants, les mises en caisse, les expéditions.

TSF

Dans votre pratique du design, vous avez réussi à trouver l’équilibre délicat entre artisanat, histoire, nature, et des techniques et technologies très précises, un intérêt pour la science, pour le futur, pourrait-on dire ! Comment résumerait-on votre style en quelques mots ?

Mathieu

Je n’en sais rien et je ne me pose vraiment jamais la question (Rires) ! Effectivement, il y a des lignes de force. Mon intérêt premier, c’est l’être humain, la façon dont nous respirons, dont nous percevons, dont nous croyons, ce qui nous angoisse, la façon dont nous nous réjouissons, dont nous dormons, etc. Le point de départ est toujours là. Ensuite, il y a des routes qui vont trouver des solutions à travers des réponses fonctionnelles, utilitaires. D’autres qui seront peut-être plus spirituelles, plus transcendantales, dont la fonction est parfois moins évidente. Les moyens d’y parvenir sont des matières et des procédés. Oui, il y a beaucoup de projets qu’on gère et qu’on développe avec des artisans experts, parce qu’ils nécessitent des techniques particulières. Mais effectivement, comme vous le rappeliez, on peut utiliser au même moment et parfois sur les mêmes projets des techniques de pointe. Il y a eu un projet pour lequel on a fait réaliser des photos satellites qui ont servi pour une pièce émaillée par un céramiste. On est donc partis des technologies les plus actuelles, pointues et coûteuses d’aujourd’hui pour arriver à la dernière mise en forme par le procédé le plus ancestral qui soit : la céramique. Précisons qu’il n’y a aucune échelle de hiérarchie.

TSF

Passé et futur dans un même geste !

Mathieu

Pour ma part, je ne parlerais pas de futur. Mon travail s’intéresse au présent, œuvre pour le présent. Et puis, qui suis-je pour affirmer aujourd’hui que je vais dessiner pour le futur ? Dans le futur, il y aura d’autres designers et le monde aura bougé. L’air que nous respirons aura lui-même changé et eux seront plus à même d’apporter des réponses. Il est vrai que parfois mon travail est perçu comme futuriste, mais je crois que c’est parce qu’on consomme tellement de nostalgie que les signes du présent apparaissent comme du futur.

TSF

Pensez-vous tout de même avoir votre esthétique, ou plutôt qu’elle varie au gré des projets, des recherches ? À votre avis, y a-t-il quelque chose de reconnaissable dans vos objets ?

Mathieu

Je pense que oui. Je dis « je pense » parce que je n’ai pas de certitudes. Disons que je compare l’ensemble de mes créations à une famille : dans une famille, les frères et les sœurs ne sont pas les mêmes. Parfois, ils ne se ressemblent même pas tant que cela. Mais il y a un « truc », qu’on ne sait pas toujours expliquer. Une façon de parler, de bouger, de regarder, de penser. C’est l’ADN commun, ce qui crée la ligne de force ! Ce qui m’intéresse, c’est d’ajouter toujours plus d’enfants à cette famille pour la renforcer. Mes objets sont issus de techniques très différentes, avec des matériaux différents, et ont parfois des formes très différentes à des échelles différentes. Néanmoins, en tout cas je l’espère, ils se parlent, ils se répondent. L’idée de l’espace que nous avons inauguré à New York suit cette idée : un grand appartement aménagé en une pièce, non pas pour faire un total look mais pour montrer que nous avons créé des choses différentes à des moments divers, qui peuvent pour autant entrer en vibration les unes avec les autres. C’est là qu’un plus un fait un peu plus que deux.

Ce projet pour Maison&Objet, c'est une proposition, une figuration de l'impossible. S'il y avait un « optimisme apocalyptique », pour moi, il serait jaune.

TSF

Avez-vous en ce moment un matériau, un procédé, une technique qui vous obsède un peu ?

Mathieu

Pas spécifiquement : disons qu’on se retrouve très fréquemment dans la situation des satellites et du céramiste qu’on évoquait tout à l’heure. C’est créer des ponts entre technologies et techniques de pointe et artisanat pur qui m’intéresse. Et à chaque fois, il faut essayer de prendre le temps de découvrir l’ensemble des techniques de transformation de telle ou telle matière et de voir comment on peut apporter une pierre à cet édifice-là. Pour ne pas reproduire exactement ce qu’on aurait pu faire il y a cinquante ans.

TSF

Citez-moi un objet que vous rêveriez de revoir ou d’inventer.

Mathieu

J’en connais beaucoup, mais je m’interroge souvent sur l’école. Moi, j’ai été un élève qui s’est beaucoup ennuyé et j’ai pris conscience du merveilleux de l’école trop tard, puisque je n’y étais plus. Il me semble qu’il y a un vrai sujet sur l’éducation en matière de design, du stylo à la chaise en passant par la table, la configuration d’une classe et la position du professeur dans la classe. Comment repenser ce moment qui devrait être merveilleux.

TSF

Vous n’avez pas encore repensé l’école, mais vous avez dessiné la torche olympique. Et la vasque, alors ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus en avant-première ?

Mathieu

Malheureusement, non ! Elle repose sous le sceau du secret total. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’entre la torche et la vasque, il y a évidemment un lien de fait. Et si la torche constitue la clé qu’on se passe à l’ouverture des jeux, la vasque en est la porte ! Donc elles sont faites pour aller ensemble et l’une est conçue pour ouvrir l’autre.

TSF

Pouvez-vous me parler de la scénographie que vous mettez au point en ce moment pour le salon Maison&Objet ?

Mathieu

Le casse-tête de l’exposition, c’est qu’on peut vite tomber dans la rétrospective, ce qui n’est vraiment pas d’un grand intérêt selon moi, presque un peu angoissant. Je voulais vraiment profiter de l’invitation de Maison&Objet pour créer un véritable projet. J’ai choisi de travailler sur la pensée survivaliste. C’est intéressant de voir qu’elle émerge en des points très éloignés du globe et qu’elle prend différentes formes – paranoïaque du côté des États-Unis, par exemple. Mais peu importe : ce qui se cache derrière, c’est une envie d’ailleurs, le fait d’envisager l’effondrement – écologique, économique, apocalyptique ? – et, par là même, la renaissance. Pour ma part, je suis plutôt optimiste, mais il me paraît important de savoir percevoir et entendre ces signaux-là. Ce projet pour Maison&Objet, c’est une proposition, une figuration de l’impossible. Vivre ailleurs, ici, c’est pénétrer dans une habitation réduite à son strict minimum : de quoi m’abriter, me chauffer, produire mon énergie, assurer un minimum de sécurité, prendre avec moi un peu de mon confort que je ne suis pas, non plus, prêt à laisser derrière moi. Cette installation pose quand même de façon sous-jacente la question « à quoi êtes-vous prêt à renoncer ?» Puis, cette installation sera monochrome : toute jaune.

TSF

Pourquoi ?

Mathieu

Pour deux raisons. D’abord parce que je voulais jouer de ce monochrome pour mettre sur le même plan toutes les propositions dans l’exposition et ne pas donner le sentiment que j’avais la réponse à tout. Pour conférer au projet, aussi, le statut d’entre-deux, dont on ne sait pas encore tout à fait s’il est réel ou fictionnel. Et le jaune. J’aurais pu prendre une autre couleur, mais je trouve que le jaune a en lui cette dualité qui m’intéressait : ce côté très radieux, solaire, énergisant mais toujours un petit côté artificiel, un peu comme dans les films de science-fiction où les choses auraient mal tourné. En quelque sorte, s’il y avait un « optimisme apocalyptique », pour moi, il serait jaune.

TSF

Qu’est-ce que ça représente pour vous, d’être élu designer de l’année par Maison&Objet ?

Mathieu

Je suis très heureux ! C’est une reconnaissance de mes pairs. Je vais vous dire : je le prends comme un câlin. Je n’ai jamais souffert de malveillance, mais au fil de mon parcours, on a pu me dire « attention, ce n’est pas du design, ça, c’est trop expérimental, pas assez ceci ou cela… ». Alors oui, quand on arrive à une certaine pratique, avoir un gros câlin de la profession, ça fait plaisir. Et aussi, c’est une façon de me dire je ne me suis pas complètement planté, parce que je doute beaucoup.

TSF

Comme dit ma mère, si vous doutez, c’est que vous êtes intelligent.

Mathieu

En tout cas, vous savez, douter vous prémunit de beaucoup de choses, en particulier de l’oisiveté : il faut sans cesse avancer.

TSF

Pouvez-vous me parler d’une de vos réalisations qui vous plaît particulièrement ?

Mathieu

Si je devais en choisir une, ce serait sans doute le purificateur d’air. Il a été le premier projet réellement commercialisé, et il a connu un franc succès. Pourtant, l’intention de départ était passablement radicale, on créait un objet fait pour prendre soin de l’air que nous respirons, ce qui, à la fois, est invisible par nature et fait partie de nous. Ce projet traitait d’une problématique, la pollution de l’air intérieur, dont on n’avait même pas véritablement conscience. Donc personne ne comprenait vraiment très bien les tenants et les aboutissants de la chose, parce qu’on ne la sentait pas, on ne la voyait pas. Et pourtant, le purificateur a connu un certain succès. Ç’a marqué un moment important pour moi.

TSF

À quoi ressemble l’antre de Mathieu Lehanneur ? À la Factory ?

Mathieu

Oh, non ! Il n’y a pas tant de pièces de ma création. Quelques-unes, mais qui ont plutôt été voulues ma femme. Il y a pas mal d’objets. J’achète beaucoup de choses aux enchères, certaines signées, mais très souvent d’autres non signées et dont on ne connaît même pas très bien la provenance : des objets un peu un peu étranges, un peu vernaculaires. Vous allez me dire que je n’aime pas ce que je fais, mais en fait, c’est plutôt comme le musicien qui rentre chez lui le soir et n’écoute pas sa propre musique, l’écrivain qui ne lit pas son propre livre. C’est normal. Je passe ma vie avec mes objets à moi, donc j’aime passer mes nuits avec d’autres pièces.

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