Chez
Yvan Martinet, investigations décoratives
S’il n’avait pas embrassé la carrière de journaliste, Yvan Martinet aurait opté pour celle d’architecte. Un choix loin d’être étonnant quand on connaît l’application avec laquelle le parisien a conçu l’espace qui constitue aujourd’hui son appartement. Acheté délabré dans le quartier de Montmartre – qu’il n’a jamais vraiment quitté – le lieu allait pourtant offrir au reporter un formidable potentiel. Un parquet en point de Hongrie et un plafond aux moulures généreuses, jusqu’ici dissimulés par des cache-misère. Minutieux, Yvan s’est attelé à sauver la moindre nervure de bois ancien, allant jusqu’à utiliser quelques mètres de sol pour confectionner sa table à manger. Une ressource dont seuls disposent les passionnés. Ceux qui, comme lui, sont prêts à tout pour donner corps à leurs idées. Il rêvait d’une cheminée ? C’est en chinant avec acharnement qu’il finit par trouver celle qui trône désormais dans son salon. Un modèle démonté dans un immeuble d’Hector Guimard et qui en porte les traits reconnaissables. Dans une ambiance feutrée évoquant l’Italie des années 1960 – période qu’il affectionne tout particulièrement –, l’antichambre d’Yvan est une réussite mêlant habilement pièces iconiques du design et créations à l’histoire toute particulière. Comme ce canapé, dessiné par ses soins, ou le banc Panchina par The Socialite Family.
Lieu
Paris
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Constance Gennari
TSF
Yvan, que faites-vous dans la vie ?
Yvan
Je fais des reportages pour une émission de télévision.
TSF
Pourquoi avoir choisi ce quartier de Montmartre, très parisien ?
Yvan
Au départ, je ne l’ai pas vraiment choisi. En sortant de l’école de journalisme il y a quelques années, mes copains de promo et moi cherchions un logement à partager en colocation. Le seul appartement que nous avons pu louer était dans l’immeuble d’en face. Depuis, j’ai écumé toute la rue et ne l’ai pratiquement jamais quittée. Tant pis pour le cliché, Montmartre est bel et bien un village. Et j’aime aussi n’être qu’à un jet de pierre de Pigalle ou des puces de Saint-Ouen.
TSF
Avez-vous fait beaucoup de travaux ?
Yvan
Quand j’ai acheté cet appartement, il était extrêmement délabré. Je n’ai pu garder que le sol et les moulures. Une belle surprise d’ailleurs, car le parquet en point de Hongrie était caché sous du carrelage et les moulures dissimulées par un faux plafond. Mais sinon, il a fallu tout refaire. De fond en comble. J’ai récupéré ce que j’ai pu, comme ces quelques mètres de parquet dans un couloir que j’ai utilisés pour faire la table de la salle à manger.
TSF
Comment définiriez-vous votre style en termes de décoration ?
Yvan
Je n’ai pas la prétention d’en avoir ! Mais mon regard est généralement attiré par les univers des années 1960, italien pour le design, californien pour l’architecture. J’ai du mal à me détacher des modernistes, avec une préférence pour Warren Platner. Je crois que j’aurais adoré vivre entre Los Angeles et Milan à cette époque où les styles étaient en rupture et très marqués. J’ai le souvenir d’avoir parcouru un ouvrage captivant sur les intérieurs milanais des années 1960-1970. Les Agnelli dans leur appartement conjuguaient des pièces de Gae Aulenti et des époux Lalanne. Des formes organiques dans un palazzo, c’est un beau mélange. Chaises ou lampes, beaucoup d’éléments ici datent de cette période, excepté peut-être la table basse qui est des Daft Punk. Je réalise maintenant que ça s’est fait très inconsciemment. Je crois que c’est ce penchant pour l’Italie des sixties qui me fait aimer aujourd’hui le travail du duo Dimore Studio ou celui de Vincenzo De Cotiis. Sinon, je crois que j’ai un peu de mal avec tout ce qui est postérieur aux seventies. Même si je peux apprécier les pièces du mouvement Memphis, mais chez les autres.
TSF
Quelles sont les pièces que vous préférez ici ?
Yvan
Les pièces de la maison ? Tout est ouvert ici, comme ça, je n’ai pas à choisir ! Quand j’ai mené les travaux, je voulais que le regard soit arrêté le moins possible. Dès le petit-déjeuner, la cuisine est baignée par le soleil qui inonde le salon et inversement l’après-midi, j’ai donc du mal à trancher. Mais quand mes amis viennent dîner, on reste généralement un bon moment dans cette cuisine autour d’un verre. Et si l’on parle des pièces de mobilier, j’ai dessiné le canapé et quelques années après, je l’aime toujours. L’une de mes pièces préférées est la lampe Taccia des frères Castiglioni. Étudiant et fauché, elle me faisait rêver derrière une vitrine. Pouvoir enfin me l’offrir avait une saveur particulière ! Et sinon, la table basse des Daft Punk m’accompagne de déménagement en déménagement depuis quinze ans. Elle est en verre et pèse 80 kg. Je tremble chaque fois que les déménageurs la déplacent ! À travers ses designers, elle incarne tout un pan de ma jeunesse. J’aimerais qu’on m’enterre avec. Bon courage.
TSF
Est-ce vous qui avez pensé la décoration ?
Yvan
Ni architecte ni décorateur ne sont passés par là. Je ne crois pas avoir beaucoup pensé la décoration. Même si j’avoue que tout ici est influencé par ce que j’ai pu puiser d’inspiration çà et là. C’est surtout un empilement d’heureuses trouvailles. Quand j’ai fait refaire cet appartement, il n’y avait plus de cheminée par exemple. Je voulais en remettre une pour restituer le caractère haussmannien. Et j’ai eu de la chance. J’ai chiné celle-ci. Elle a été démontée dans un immeuble d’Hector Guimard, dans le XVIᵉ arrondissement de Paris. On reconnaît son trait sur les flancs. C’est ce qui m’a fait choisir ce vert pour la bibliothèque. C’est celui des édicules d’accès aux stations de métro qu’il a dessinés.
TSF
Avez-vous un architecte, un designer qui vous inspire et dont le travail vous passionne ?
Yvan
Plein ! Si je n’avais pas voulu faire de reportages, j’aurais a-do-ré être architecte. J’ai une passion pour John Lautner. Sa réalisation que je préfère est la Sheats Goldstein Residence sur les collines de Beverly Hills (c’est la maison que l’on voit dans The Big Lebowski, des frères Coen). James Goldstein, son propriétaire, m’a laissé la visiter à plusieurs reprises. Chaque fois, je reste béat d’admiration. Tout y est incroyablement bien pensé. Au point que son propriétaire y vit presque sans meubles, et que ça ne manque pas. À chaque visite, j’y découvre de nouveaux détails complètement fous. Dans un exercice aussi contraint que l’architecture, la créativité de Lautner me fascine !
TSF
Que manque-t-il chez vous ?
Yvan
Rien. Sinon encore un peu d’espace. Et d’autres tableaux de Pierre Seinturier et de Laura Acquaviva ou des photos de Nina Koltchitskaia.
TSF
Où allez-vous quand vous cherchez un meuble ? Quelles sont vos bonnes adresses en ligne ou en physique ?
Yvan
J’adore flâner à Saint-Ouen, pour “me faire l’œil”, m’instruire au contact des marchands, au marché Paul Bert Serpette particulièrement. J’aime le goût très sûr de beaucoup d’antiquaires là-bas. Sinon, je crois avoir bien participé à la bonne santé financière de leboncoin ! Une bonne partie de mon mobilier y a été chinée. Je viens tout juste d’y trouver une table basse rare de Warren Platner. Le site 1st dibs reste une référence. Et récemment, une amie m’a fait découvrir la maison de vente Millon, mais elle ne sera pas très contente que j’en parle ici (!). Enfin – elles sont rares – les ventes NOW! de Sotheby’s offrent chaque fois une belle sélection de mobilier vintage, avec des mises à prix abordables.
TSF
Pouvez-vous nous donner de bonnes adresses de restaurant dans votre quartier ?
Yvan
Tout près de la place des Abbesses, le resto Roberta vient d’ouvrir et propose une belle carte italienne. L’hôtel Le Pigalle, un peu pour l’assiette, beaucoup pour les yeux avec la décoration du studio Festen. Enfin, à deux pas, _L’Entrée des Artistes (_pour ses cocktails) et, si vous aimez faire la queue dès 11 h pour déjeuner à 15 h, Bouillon Pigalle. Bon et bon marché.