Chouquettes – Épisode 26 : Constance...
Le Salone del Mobile ouvre ses portes dans deux semaines à peine et déjà les mots nous manquent pour vous parler de cette édition...
chez
Ève Ducroq et Arnaud Dollinger vivent comme ils travaillent. En cultivant leur différence ! Un conseil donné des années auparavant par la mère de la marchande, et appliqué comme religieusement par cette dernière. Car ce couple-là ne ressemble à aucun autre. Dans leurs parcours de vie respectifs, dont on pourrait se faire bercer des aventures par la voix grave de notre interlocutrice pendant des heures, mais aussi dans leur récent projet commun, O.D.A Galerie (Objets d’Affection). Un pas-de-porte acquis au renommé marché Paul Bert Serpette qu’ils doivent à leur rencontre. Cette histoire d’amour fusionnelle, les Parisiens continuent de la construire dans le « grenier du monde » grâce à un espace de 12 m². Une surface en apparence difficile à aménager que les ensembliers ont transformé en un véritable atout en en changeant le décor toutes les 6 à 8 semaines. Un positionnement hybride – ils ne sont ni brocanteurs, ni galeristes – à la spécialité XXᵉ siècle mais pas que. Ève et Arnaud ne souhaitent pas être « figés » dans une période. O.D.A Galerie, c’est avant tout l’éclectisme ! En partant d’une couleur ou d’une matière, parfois d’un morceau de musique, les créatifs construisent une saynète liée à une pièce de l’appartement imaginaire dans lequel ils souhaitent projeter les visiteurs de leur stand. Un écrin classique (la salle à manger) ou plus singulier (le boudoir) dans lequel les objets sélectionnés conversent entre eux avant de se livrer à leur future clientèle. À travers ce parti pris, les passionnés souhaitent partager ce qui les anime. L’envie de ne rentrer dans aucune case tout en se jouant des normes. O.D.A Galerie, c’est leur second chez eux. La gaieté des années 1970 qu’ils se réapproprient avec l’esprit et le second degré que l’on retrouve dans leur propre intérieur cette fois. Un lieu millefeuille dans lequel les amoureux travaillent, expérimentent et, à l’aide de la décoration, se livrent. En témoignent la collection de maroquinerie, aperçue pendant notre visite, d’Ève et les acquisitions de la période 1950-1960 d’Arnaud qui ne cache pas son amour pour la manufacture scandinave. Un intérieur de collectionneurs, mêlant théâtralité et associations discordantes, comme on les aime (à la folie) chez The Socialite Family !
Ève, Arnaud, pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Arnaud est spécialisé dans la décoration d’intérieur, je suis passionnée d’arts décoratifs et historienne de l’art de formation. Nous collectionnons des pièces anciennes de design. Ensemble, nous mettons en scène toutes les 8 semaines une pièce à vivre différente (salon, bureau, chambre, etc.), qui illustre notre style en tant que cabinet de décoration d’intérieur et qui met en conversation notre sélection de mobiliers du moment au sein de O.D.A Galerie, notre espace aux Puces de Saint-Ouen.
J’ai grandi dans le sud de la France. Je suis ébéniste de formation. J’ai ouvert une galerie à Montpellier lorsque j’avais 28 ans. Il s’agissait d’une espèce de concept store dans lequel, avec trois amis, nous proposions une sélection de mobilier scandinave des années 1950 (principalement), des vinyles et du vêtement vintage américain. J’ai emménagé à Paris un peu plus tard avec l’opportunité de rentrer chez Silvera en tant que responsable de projets. J’ai évolué au sein du groupe en prenant la direction de différents départements et showrooms. Il y a bientôt 2 ans, avec ma femme Ève, nous avons créé un lieu atypique au sein des Puces de Saint-Ouen, O.D.A Galerie.
Je suis une enfant du XVIIᵉ arrondissement de Paris. Ma seule grande aventure géographique a été de m’installer dans le Nord-Ouest au-delà de la Seine ! J’ai suivi des études d’histoire de l’art à l’École du Louvre, spécialisée en arts islamiques et j’ai terminé mon parcours d’étudiante par un DEA en art contemporain à Paris 4. Je garde un souvenir enchanté de ces années. J’ai évolué ensuite dans l’univers muséal, au musée des Arts décoratifs, au Palais de la découverte et à la Cité des sciences et de l’industrie, de la conception d’expositions à la communication jusqu’au marketing. J’ai interrompu cette linéarité par la création de ma propre entreprise, une marque de vêtements pour enfants, Pouti Paris, dont j’ai dû cesser l’activité pour des raisons personnelles il y a quelques années. L’aventure entrepreneuriale me manquait et je n’ai pas hésité une seconde à me lancer une seconde fois avec Arnaud en créant O.D.A Galerie.
Nous sommes presque au-delà de la complémentarité, il s’agit quasiment de fusion !
Et votre éducation à l’art, au design ?
Autodidacte en quelque sorte. Mais ma passion du mobilier vient naturellement de ma formation d’ébéniste. Mon expérience au sein de Silvera m’a permis de consolider mes connaissances sur le mobilier d’architecte et le design plus largement. Dans le Sud, j’ai baigné dans un univers où l’on écoutait beaucoup de hip-hop, la culture street était très présente. J’ai aussi beaucoup pratiqué le base-ball et par ce biais élargi aux vêtements, je me suis beaucoup nourri de culture américaine.
Dans mon enfance, mes parents m’emmenaient dans les musées comme on emmène les enfants au jardin. J’emportais un carnet dans lequel je dessinais et comme je n’étais pas très douée, je collectionnais surtout les cartes postales des œuvres que je préférais ! J’ai découvert aussi très tôt la culture japonaise et sa sophistication. Je dois à mes parents de m’avoir sensibilisée à toutes les formes de beauté. Ma formation à l’École du Louvre a bien sûr beaucoup contribué à développer ma culture et particulièrement les arts islamiques ainsi que le goût de l’ornement et des couleurs, le raffinement de la période safavide. La typologie, le Bauhaus, le graphisme, sont, eux, mes premières « amours » d’art moderne. J’ai eu l’occasion de travailler par la suite avec des graphistes de talent, de véritables créateurs de formes nouvelles, qui m’ont énormément inspirée.
Comment avez-vous associé les deux – ainsi que vos personnalités – au sein de votre galerie Objets d’Affection ?
Nous sommes presque au-delà de la complémentarité, il s’agit quasiment de fusion ! Plus sérieusement, nous imaginons ensemble les mises en scène. Arnaud s’occupe de la mise en espace et du sourcing, je gère la communication et nous nous répartissons la relation avec nos clients. Nos propositions sont la somme de nos yeux et de nos intentions.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons compris que nous partagions la même sensibilité pour les arts décoratifs. Nous achetions beaucoup de pièces ensemble. Nous avons ressenti au fur et à mesure l’envie d’exprimer un langage décoratif singulier et le désir de le partager. Nous avions véritablement envie de voir certaines pièces en relation avec le public, de les mettre en contexte afin d’imaginer comment elles pourraient prendre place dans la vie de quelqu’un d’autre. Nous avons alors créé O.D.A Galerie, lieu dans lequel nous racontons des histoires décoratives. À nos yeux, dénicher un trésor implique de le mettre ensuite en conversation dans un espace. Nous aimons « ensembler » comme un styliste le fait avec une silhouette, d’où le terme d’« ensembliers » que nous privilégions à celui de décorateurs. Nous avons envie d’inspirer si possible le plus grand nombre et de surprendre les initiés. Mais avant tout, notre intention première est de ménager des espaces qui soient des occasions de découverte, de curiosité et de plaisir.
Pourquoi avoir choisi ce nom ?
« Objets d’Affection » est le titre d’un chapitre de livre que j’ai lu à Milan chez Nilufar pendant le Salon Del Mobile. Cet intitulé a tout de suite fait écho à ce que nous souhaitions communiquer ; à savoir retrouver l’intimité et les liens secrets avec les objets dans un espace vivant et attachant. Nous avons ensuite choisi de conserver principalement le sigle d’« objets d’affection », ce qui nous donne : O.D.A Galerie.
De quelle manière votre style s’exprime-t-il, ici, chez vous ? Dans votre appartement, les objets, le mobilier sont-ils mouvants ?
Notre appartement est un laboratoire créatif. Nous vivons comme nous travaillons et inversement. C’est en quelque sorte un décor mille-feuille que nous faisons évoluer très régulièrement. Nous pouvons retrouver chez nous la singularité que l’on développe aux Puces de Saint-Ouen : beaucoup d’aplats de couleurs, des associations discordantes parfois avec lesquelles nous aimons jouer. Mes filles, Élia et Adèle, se plaignent parfois de voir l’aménagement changer trop souvent, et à la fois elles deviennent de plus en curieuses et excitées de voir arriver de nouvelles pièces !
En la matière, quel(s) époque(s), période(s) ou mouvement(s) vous émeuvent en particulier ?
Nous sommes autant touchés par la rigueur et la pureté de ligne d’un designer français comme Gérard Guermonprez que par l’éclat saturé des années 1970. Nous aimons les formes audacieuses et fluides, organiques presque, et apprécions particulièrement les meubles bas. Nous aimons cette époque qui célébrait la liberté totale, une extravagance et une vraie convivialité ! Nous essayons de nous réapproprier l’élégance de ces années-là avec un second degré, en évitant d’apparaître trop littéraux ou rigides !
De quelle(s) pièce(s) êtes-vous le plus fiers ?
Le sofa modulable « Carrera » de Lomazzi, d’Urbino et de Pas. Un chapiteau indien en bois qui date de la fin du XIXᵉ et un lit de Bernard Govin que nous n’avons pas encore présenté.
Sur quel artiste êtes-vous intarissables ?
Oscar Niemeyer et Axel Vervoordt.
James Turrell, Le Bernin, Alexander Mac Queen.
Les couleurs, les matières sont prépondérantes chez vous. Comment les avez-vous choisies ?
Notre principale influence a été les façades de Rome dans les années 1950.
En tant que « stylistes d’intérieur » et véritables ensembliers décorateurs, pouvez-vous nous donner quelques conseils. Pour donner de la personnalité à une décoration ?
Oser la couleur, ne pas rentrer dans des codes et encore moins dans une mode. Il faut faire confiance à ses goûts et ne pas craindre de combiner les époques et les styles.
Où vous retrouverons-nous dans les mois à venir ?
Certainement dans une adresse à Paris en plus de celle de Saint-Ouen.
Photographies : Constance Gennari – Texte : Caroline Balvay @thesocialitefamily
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