Cécile Perrinet-Lhermitte et Hugo Pierre
À première vue, l’imposant bâtiment donne l’impression d’avoir toujours été là. Et pourtant ! Acquise en 1999 par Hugo Pierre, le...
chez
Quitter Paris pour une « belle endormie » bordelaise. Une énième migration qui tombait sous le sens pour Emmanuelle et Jean Mell, les fondateurs de la marque Authentic-Bazar. Des envies d’ailleurs impulsées dès leur jeunesse qui, comme un leitmotiv, ont dicté tout naturellement la suite de leur vie. Familiale – avec ses pérégrinations aux quatre coins du globe – comme professionnelle, bousculant leurs carrières respectives dans la direction artistique et l’édition (pour elle) et la direction de développement dans une agence de voyages (pour lui). Un besoin de renouvellement et de découverte jamais rassasié qui – au terme de vingt ans de « bons et loyaux services » – les mène à créer leur propre aventure, tournant sans regret la page pour embrasser ce nouveau projet entrepreneurial. Un e-shop aux mille et un objets nomades qui fait la part belle au travail de la main à l’ère industrielle, retranscrivant leur « (fascination pour) les peuples et leurs cultures ». Véritable prolongement de leur tendance à remplir leurs valises et leurs sacs de « trésors artisanaux ». Des habitudes estivales devenues leur métier, où chaque savoir-faire rencontré est mis en lumière. Au même titre que l’homme qui se cache derrière ! Laque du Vietnam, céramiques peintes aux pigments de Fès : autant de techniques ancestrales aux anecdotes précieuses dont les deux Bordelais d’adoption sont avides, faisant ainsi de leur label une « fenêtre ouverte sur le monde » dont l’intérieur est un fidèle aperçu. Car dans ces volumes aux teintes bleutées, organisés autour d’un escalier central, on ne cherche pas à accumuler. Au contraire ! Les pièces vintage chinées s’accommodent d’objets dénichés lors de leurs (nombreuses) escapades lorsqu’elles n’atterrissent pas sur leur site. Un pouf berbère, des poteries de Tamegroute ou encore des suspensions confectionnées en Indonésie qui rappellent au couple de globe-trotteurs modernes que le prochain périple n’est jamais bien loin !
Nous sommes un couple de curieux aux semelles de vent et avons construit notre carrière, nos projets et notre famille autours de la culture du voyage.
Ex-directrice artistique et responsable des éditions print et web au sein d’un petit groupe privé d’agences de voyages axés sur la culture de l’ailleurs, j’emmagasine une certaine culture de la décoration en feuilletant les magazines dédiés à la maison et à l’architecture depuis ma plus tendre enfance. Je transforme des ateliers en habitations privées, cours les expos et parcours le monde à la recherche de nouveautés et d’ailleurs. Mon premier grand voyage : la Birmanie en 1998, j’y ai découvert son artisanat fait de bouts de ficelles du fait des rationnements. Ma dernière découverte : un dealer d’art africain dont la vie inspirerait Joseph Kessel ! Mon expérience ? Remplir mes valises de trésors que je proposais à l’occasion de ventes éphémères. De là à créer Authentic-Bazar, il n’y avait qu’un pas à franchir.
Boulimique de voyages depuis près de trente ans, fasciné par les peuples et leur culture, j’ai suivi la route de la Soie à pied d’Istanbul à Katmandou ou aux confins de l’Extrême-Orient à plusieurs reprises, j’ai marché sur les traces d’Henry de Monfreid en Afrique de l’Est, découvert la culture ancestrale des peuples du Proche et Moyen-Orient, et traversé l’Amérique centrale à la rencontre de ses habitants à une époque où cette région n’était pas encore dans les must do des gypsetteurs. En tant que directeur du développement d’une agence réceptive basée en Asie, j’ai eu la chance de sillonner ce continent de long en large et de me rendre compte que la beauté du monde est souvent là où on ne l’attend pas. C’est cette curiosité jamais étanchée qui m’a donné l’envie de créer Authentic-Bazar, une fenêtre ouverte sur le monde, passerelle entre les traditions, les savoir-faire locaux et notre société à l’affût de ces valeurs.
Vaste question. Tout est lié ! Ma curiosité à l’égard du monde date de la plus tendre enfance, lorsque j’ouvrais les placards et regardais, fascinée, les trésors rapportés par l’un de mes oncles de ses sept années passées à peindre en Inde dans les années 1950. Mais aussi de la passion de mon grand-père paternel que je n’ai jamais connu mais qui fréquentait et collectionnait les artistes de son époque. Il avait du nez dans ce domaine ! Sérusier, Belmondo père, Modigliani… Bon, il a tout vendu pour créer une société. Ça apprend le sens du commerce ! Tout cela façonne un regard, met les sens en éveil. Le voyage n’a pour nous de voyage que le nom. Depuis toujours, nous pensons qu’il est aussi simple de prendre l’avion pour l’autre bout du monde que le train pour l’une des extrémités de notre joli pays. La planète est un terrain de jeu extraordinaire, la notion de partage des savoirs est vertigineuse, les échanges culturels pourraient être infinis. La rétine imprime des images, le cerveau les emmagasine, certaines choses nous touchent plus que d’autres, et cela crée un goût singulier propre à chacun. Jean et moi sommes raccords sur le mix and match des styles. Nous aimons mixer les pièces 1950, 1960 ou contemporaines avec des pièces d’artisanats de divers horizons tant qu’elles racontent une histoire.
Nous chinons au fur et à mesure de nos pérégrinations des objets à supplément d’âme parce qu’un objet fait de la main de l’homme a un caractère unique, un impact social et favorise la sauvegarde des traditions.
Cette question pose des dilemmes complexes. La destination qui m’inspire toujours le plus ? L’Inde, qui a un artisanat fort, et ses merveilleuses portes de havelis. Le pays qui m’a le plus marquée : le Cambodge, découvert en 1999, vingt ans pile après les khmers rouges. Une claque sur le sens de la vie. Plus gai ? Le Vietnam, ses villes grouillantes d’activités, l’art de la laque, les sourires, les rizières, les couleurs des costumes des ethnies du Nord, entre autres. Et puis Zanzibar et les vestiges de la colonisation omanaise que l’on retrouve dans l’architecture et les meubles : fabuleux. Ah ! et puis bien sûr : la Birmanie ! Pays aux nombreuses subtilités où un regard peut vouloir dire des milliers de choses puisque la parole n’y est pas libre.
Les cultures orientales à l’imaginaire débridé, le Pakistan et ses meubles très travaillés, colorés, souvent au ras du sol ; les camions pakistanais, véritables œuvres d’art roulantes ; la faculté de chaque peuple à s’accommoder de son environnement pour créer des objets du quotidien pour eux, véritables pièces d’art pour nous.
Authentic-Bazar est née autour d’une évidence : une envie de partage. En temps normal, nous chinons au fur et à mesure de nos pérégrinations des objets à supplément d’âme parce qu’un objet fait de la main de l’homme a un caractère unique, un impact social et favorise la sauvegarde des traditions… Un artisanat que nous mettons en avant via un site web dédié et des pop-up stores nomades qui viennent à la rencontre de nos clients et vivent le temps d’un week-end ou d’une semaine. Après vingt ans de bons et loyaux services dans nos boîtes respectives, il était grand temps de passer à autre chose, non ? L’idée d’Authentic-Bazar nous trottait dans la tête depuis un bout de temps. Cela s’est fait naturellement. Le nom nous est venu comme ça, en dix minutes. Jean et moi sommes assez raccords, complémentaires, il était évident pour nous de travailler ensemble.
Pour l’instant, nous le faisons selon l’envie et les rencontres. Par exemple, à l’occasion d’une visite d’atelier, les idées nous viennent et nous réalisons un travail à plusieurs mains. Ce fut le cas pour notre collection de saladiers Naam dessinés et réalisés dans un petit atelier de Fès. Ils sont peints à main levée au pinceau pièce par pièce ! Cela est à peine croyable à une époque où tout est fait à la chaîne en quantité industrielle ! Le saviez-vous ? L’approche de la couleur selon les continents et les cultures n’est pas la même. Par exemple, en Europe, on n’associe pas des couleurs dont les nuances sont opposées, en Asie, c’est le contraire. Il suffit de regarder le plafond de la Cité interdite pour le comprendre. Yves Saint Laurent en a fait le constat avant tout le monde. Nous fonctionnons comme cela. Nous observons la culture de l’autre et nous en inspirons. Cela a donné nos plateaux en laque aux couleurs vitaminées ou sourdes mais qui se marient toutes entre elles. Pour les réaliser, nous avons fait appel à une femme qui gère un atelier spécialisé dans la laque très haut de gamme au savoir-faire irréprochable. Pour dire les choses simplement, les idées nous viennent au fil des rencontres. Nous partons de savoir-faire concrets et notre imagination fait le reste. Nous aimons dire que les artisans sont des faiseurs de rêves, là où nous sommes des passeurs de rêves !
Cette maison est le fruit d’un hasard. Nous avons vendu notre maison parisienne plus vite que prévu, il a fallu se reloger rapidement.
Racontez-nous l’histoire de votre rencontre avec cette maison.
Cette maison est le fruit d’un hasard. Nous avons vendu notre maison parisienne plus vite que prévu, il a fallu se reloger rapidement. Nous avions décidé de quitter Paris, Bordeaux était une évidence. Cependant, cette ville à l’architecture classique et sublime ne propose pas beaucoup de lofts ou de maisons contemporaines. Nous avons privilégié un quartier et sommes tombés sur cette belle endormie où le gros des travaux était fait, il ne restait plus qu’à la valoriser.
Nous n’avons pas touché à l’organisation des pièces, la structure tournant autour de l’escalier central ne le permettant pas. En revanche, nous avons structuré les espaces en les peignant de façon contrastée. Nous repeignons régulièrement les chambres, ça permet de changer d’ambiance facilement. Nous avons tenté le plus possible de redonner ses lettres de noblesse à cette maison dépouillée par ses anciens propriétaires en travaillant sur les matériaux, les couleurs. Comme nous aimons aussi beaucoup recevoir pour un dîner ou un week-end entre copains, nous avons pensé des espaces multifonctions comme notre bureau, ou celui des enfants qui peuvent recevoir des amis facilement lorsque nous sommes très nombreux.
Et meublée ?
N’étant pas pour la surconsommation, nos meubles nous suivent depuis toujours. Nous préférons acheter de jolies pièces qui nous suivent au fur et à mesure de nos déménagements et qui durent. L’idée étant de les accommoder en fonction de nos habitats. D’un loft parisien, nous sommes passés à une maison bourgeoise très traditionnelle. C’est un grand écart ! Aux pièces vintage chinées ou contemporaines de fabrications nordique et italienne s’ajoutent les objets nomades Authentic-Bazar chinés un peu partout et qui apportent ce supplément d’âme.
Que dit votre intérieur de vous ?
Notre intérieur est le reflet de notre personnalité ! Cela est valable pour tout le monde, vous ne croyez pas ? Il dit que nous apprécions les tables généreuses (la Gervasoni de Paola Navone de la cuisine est faite pour recevoir jusqu’à dix personnes !), que nous affectionnons les apéros dînettes au coin du feu l’hiver entre copains parce que nous avons aménagé le salon d’hiver dans ce sens, que nous aimons vivre dedans-dehors, la cuisine s’ouvrant intégralement sur le patio, que nous sommes des nomades des temps modernes car rien n’est figé et que les objets changent d’endroit, tout le temps, en fonction des saisons et des humeurs.
Nous préférons acheter de jolies pièces qui nous suivent au fur et à mesure de nos déménagements et qui durent. L’idée étant de les accommoder en fonction de nos habitats.
Alors, le Symbiose pour leurs cocktails bien pensés, l’Amédée pour son équipe, leur bienveillance et leur cuisine aux saveurs apprivoisées au cours de leurs voyages, Coutume {Studio} dont les fondateurs sont des adeptes de pièces déco à forte singularité, la Maison Zurcher pour leurs pains et pâtisseries follement gourmandes, l’Apollo et ses soirées soul train mythiques pour vous replonger dans les bons sons de la Motown. Et puis, à faire absolument : la brocante des Quinconces qui regroupe deux fois par an le meilleur de la chine de la région. Un peu nos puces du design !
Une pugnacité singulière : un regard sur la décoration différenciant, qui ne suit pas les codes, les tendances, mais les crée. Un esprit ouvert, curieux, bienveillant. Nous vous suivons depuis le début, vous avons vu évoluer, nous sommes plus de 370 000 à vous suivre… Vous le vivez comment ? Un peu de pression ou sereinement ? (Rires)
Eh bien là, tout de suite, nous venons d’ouvrir une boutique éphémère au cœur du Bateau Libre, un concept tourné autour de l’hôtellerie et de la bistronomie friendly, pour quinze jours (jusqu’au 7 août) à Bénodet, une très jolie petite station balnéaire années 1880 du Finistère Sud. Nous aimons être là où on ne nous attend pas. Puis nous préparons une collaboration avec une mordue d’antiquités indiennes à Bordeaux pour l’automne et, enfin, un pop-up à Paris au moment de Noël.
Photographies : Victor Deweerdt – Texte : Juliette Bruneau @thesocialitefamily
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